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20 août 1955 en Algérie, jour où le Djihad est déclaré

13/02/2025

20 août 1955 en Algérie, jour où le Djihad est déclaré

Le 20 août 1955 marque un tournant dans la guerre d’Algérie. Ce jour-là, sous l’impulsion de **Zighoud Youcef**, chef militaire du nord-constantinois, une insurrection éclate contre les Européens et les forces françaises. Cette révolte, présentée comme un **Djihad**, vise à rallier la population musulmane à la cause indépendantiste en la compromettant dans la lutte armée.

L’attaque est coordonnée dans **47 localités**, où des groupes armés et des civils s’en prennent aux Européens et aux "traitres" musulmans francophiles. Certains massacres sont particulièrement marquants, comme à **El Halia**, où **37 Français, dont 10 enfants**, sont tués, ou encore à **Saint-Charles et Aïn Abid**. À **Philippeville**, les forces françaises repoussent l’assaut, causant de lourdes pertes chez les assaillants.

La répression qui suit est violente, avec **3 000 à 5 000 victimes** estimées parmi les insurgés et les populations locales. **Jacques Soustelle**, gouverneur général, conclut qu’il n’y a plus d’alternative : « c’est la guerre ». Ces événements scellent une rupture entre Européens et Algériens et marquent une **radicalisation du conflit**, perçue désormais comme une guerre de religion et un conflit ethnique.  

L’historien **Roger Vétillard** souligne que cet épisode est longtemps resté peu étudié, notamment en raison de la prédominance de l’idéologie marxiste dans l’historiographie, qui a minimisé le rôle du facteur religieux dans le conflit algérien.

20 août 1955 en Algérie, jour où le Djihad est déclaré

Le 20 août 1955 fait partie de ces moments peu étudiés de la guerre d’Algérie. Ce n’est qu’en 1996 que la communication de Charles-Robert Ageron lors d’un colloque organisé par l’Institut d’Histoire du Temps Présent a parlé de cet événement.
En 2011 par Claire Mauss-Copeaux 1 publie un livre sur ce sujet : Guy Pervillé a dit ce qu’il en pensait 2  : « [l’auteur] s’est contentée d’une enquête incomplète et a pris le risque de généraliser imprudemment ses conclusions […], elle s’est contentée de mettre en évidence la grande diversité du nombre de victimes retenues par les différents auteurs qui ont cité les tragiques événements du 20 août 1955, sans étendre ses recherches … », et « elle s’est attachée à démontrer à travers deux exemples (El-Alia et Aïn-Abid) que le caractère particulièrement sanglant de l’insurrection et le nombre alarmant de ses victimes civiles n’étaient pas dus aux ordres donnés par le chef régional du FLN-ALN, Zighoud Youcef, mais à des initiatives locales explicables. Cette démonstration est faussée par le fait que Claire Mauss-Copeaux a supposé, sans preuve, que ces deux massacres de civils européens étaient les seuls, alors qu’en réalité, de tels massacres se sont produits ce jour-là dans de très nombreux lieux touchés par l’insurrection, et tout particulièrement dans la région centrale directement commandée par Zighoud Youcef ».


J’ai publié en 2013 une étude 3 qui permet de mieux connaître ces journées de l’été 1955 grâce aux rapports de gendarmerie, de la police, des journaux de marche des s corps de troupe engagés dans la protection et la répression, de témoignages de Français d’Algérie, de militaires et d’Algériens contemporains et d’une revue de presse.
La « guerre d’Algérie » débute le 1 er novembre 1954 Lors du déclenchement de l’insurrection, le FLN organise le territoire algérien en 6 Zones (qui deviendront des Willayas en 1956). Le nord-constantinois (Zone 2), région délimitée au sud par la ville de Constantine, au nord par la Méditerranée, à l’ouest par la ville de Djidjelli et à l’est par les villes de Bône (Annaba) et Guelma. Philippeville (Skikda) se situe au bord de la mer à distance égale de Djidjelli et de Bône, a une superficie de 17 000 km² soit l’équivalent de 3 départements français.


Zighoud Youcef, chef militaire de cette zone, est un musulman fervent qui est accompagné par un imam qui récite prières et versets du Coran au début de chaque réunion. Les hommes placés sous son commandement sont des Moudjahidines (combattants du Djihâd) et sont récompensés par l’attribution d’un Coran (Mus’hâf).

 

Le 1 er novembre 1954, le FLN annonce qu’il lance une insurrection pour obtenir l’indépendance du pays. Ce jour-là il y eut en divers points du territoire algérien une soixantaine d’exactions symboliques ou violentes, mais l’annonce n’entraine pas l’adhésion des masses populaires. Dans les régions montagneuses, en Kabylie et dans les Aurès, où vivent des populations berbères, ont lieu les principaux faits d’armes. Dans les Aurès l’armée française met les rebelles en difficultés. L’ouest algérien et la région d’Alger sont calmes. Le nord-constantinois est plus actif, mais Zighoud est isolé, il ne reçoit aucune directive, ne possède que peu d’armes et moins de 200 combattants. Les musulmans des villes restent éloignés de cette « révolution » qui ne les inspirent pas, ceux du bled sont passifs.


Zighoud, décide de frapper un grand coup pour « sauver la révolution ». Il organise une opération pour compromettre la population musulmane, récupérer des armes, des médicaments et du matériel, punir « les traitres » c’est-à-dire les autochtones francophiles, s’attaquer aux «colons» et aux bâtiments officiels. Des émissaires parcourent les mechtas, les douars, pour mobiliser les civils, leur demander de rassembler des armes et d’être prêts pour le Samedi 20 août. Le jour et l’heure ne sont pas choisis par hasard : le 20 août 1955 est le 1 er jour de l’année 1375 de l’Hégire (calendrier musulman) et midi l’heure où l’insurrection permet aux civils musulmans embrigadés d’être exposés à la vue de tous. Le Djihad est annoncé par un muezzin depuis le minaret des mosquée. Ce jour est aussi celui du second anniversaire de la déposition du sultan du Maroc par l’administration française d’où la concomitance d’évènements similaires survenus à Oued Zem.


Que s’est-il passé ce 20 août 1955 ?


Dans chaque localité des groupes d’hommes armés encadrent des civils lancés à l’assaut des Européens. La plupart des attaques sont contenues par les Européens qui
utilisent des armes de chasse, et repoussées par les forces de l’ordre qui viennent à leur secours. 

Mais il y a des massacres : à la mine d’El Halia, 37 Français dont 10 enfants (certains de moins de 3 ans) et des femmes sont tués. Ce drame fait la une de la presse mondiale et est exploité par le service d’action psychologique de l’armée française au point qu’il occulte les autres massacres. C’est ainsi qu’à Ain Abid, 9 européens sont massacrés dont un vieillard hémiplégique et un bébé de quelques jours et à Saint-Charles situé à 16 km de Philippeville, il y a 13 morts dont 3 enfants.

 

Philippeville (70400 habitants) est envahie par des centaines d’insurgés sommairement armés, encadrés par des moudjahidines. Les forces de l’ordre alertées par les services de renseignements les attendent et l’assaut est stoppé en quelques heures. Il y aura parmi les assaillants 134 morts et 700 arrestations. Les rapports officiels indiquent que 14 membres des forces de l’ordre ont été tués et on compte 8 tués et 11 blessés européens sur le territoire de la commune de Philippeville (hors El Halia).
A Constantine, les insurgés tuent le pharmacien Alloua Abbas, neveu de Ferhat Abbas le leader indépendantiste, blessent Chérif Hadj Saïd avocat, élu à l’Assemblée algérienne, jettent un engin explosif dans un bar du quartier juif et accrochent au minaret de la grande mosquée le drapeau du FLN.

 

Collo (40 km à l’ouest de Philippeville) est occupé pendant une heure par 150 hommes. Ils tuent 4 membres des forces de l’ordre, 6 européens. Certaines localités, telles
Guelma ou Mila, ne se soulèveront que le lendemain.

 

Au total, 47 centres connaissent des troubles. Le bilan humain s’établit à 119 morts européens, 48 parmi les forces de l’ordre et au moins 42 musulmans francophiles. Chez les assaillants les pertes sont évaluées à plus d’un millier de morts et plusieurs centaines de blessés 4 .


La répression est sévère. A la chasse au « faciès européen » des 20 et 21 août succède une chasse aux insurgés menée par l’armée et, notamment à Philippeville et ses alentours et à Ain Abid, par des groupes de civils européens érigés en justiciers. Des mechtas sont rasées sur ordre de Jacques Soustelle, le gouverneur général. Pour Soustelle, bouleversé par le spectacle des morts et des blessés, il n’y a plus d’alternative : « c’est la guerre, il faut la faire ! ». Les négociations entamées avec les indépendantistes sont interrompues. On mesure dans les rapports de gendarmerie et de l’armée, grâce aux témoignages des uns et des autres, dans les récits de militaires impliqués dans la répression, la réalité de la réponse des forces de l’ordre. En se référant à ces sources on estime que la répression a fait entre trois mille et cinq mille victimes.


Des conséquences décisives :
L’ALN a perdu la bataille et les objectifs que son chef lui avait assignés n’ont pas été atteints. Mais elle a gagné sur le plan psychologique. La presse du monde entier parle de ces journées sanglantes et constate qu’en Algérie « ce ne sont plus des troubles à l’ordre public mais une guerre que la France a désormais sur les bras. »


Conséquence flagrante notée le 6 septembre 1955 dans un rapport du 2 ème bureau :
«l’un des objectifs des dirigeants de l’Armée de Libération est virtuellement atteint : la séparation des Français d’Algérie et de la masse musulmane est pour ainsi dire acquise avec toutes les conséquences politiques, sociales et économiques qu’elle entraîne». Ce sera également l’avis du directeur de la police des renseignements généraux de Constantine dans un rapport daté du 8 septembre 1955.

 

Les responsables algériens de cette période confirment cette analyse. Mohamed Khedid et Salah Boudjemâ attestent «Pour Zighoud, il fallait éloigner le colonisateur des
populations car sa présence auprès d’elles à travers des réseaux puissants était très gênante pour notre action […] et il réfléchissait à cette question qui le préoccupait particulièrement et qui consistait à faire en sorte que la rupture entre Algériens et Français soit réalisée  5 ».
Mahfoud Bennoune et Salah Boubnider authentifient : « Zighoud décida de passer outre le règlement de l’ALN qui interdisait de s’attaquer à des populations civiles. Il donna l’ordre de s’attaquer à tous les Européens sans exception ». Pour d’autres encore il apparaît «qu’à la répression collective prônée par les autorités françaises à l’égard des populations4 devait correspondre une attitude de punition collective vis-à-vis des populations européennes.»
Les civils français, l’armée et l’ensemble des forces politiques sont tombés dans le piège. Les Européens reprochent aux autorités civiles et militaires de n’être pas intervenu
préventivement et d’avoir laissé des localités comme El Halia sans défense. Une peur difficilement contrôlable les saisit car ils se souviennent des journées de mai 1945 et ils ont assisté aux scènes de guérilla urbaine à Philippeville, Constantine, Guelma et Collo. Pour eux la population musulmane toute entière est assimilée au flot haineux et sanguinaire qui s’est abattu à El Halia, à Saint-Charles et Ain Abid. A la suite de ces événements ont lieu les premiers départs des Français vers la métropole : en novembre 1955, 3 mois plus tard, 10% de la population européenne de Collo a quitté la ville, à Jemmapes une douzaine de familles sont parties.

 

Pour réussir cet objectif Zighoud a utilisé le ressort religieux : c’est aux cris de « Djihad ! Djihad ! » ou « d’Allahou Akbar ! » que les insurgés ont assailli les quartiers
européens, ce sont les muezzins du haut des minarets qui ont ordonné le début des opérations. Si Abdallah, un de ses lieutenants, reconnaît « Compte-tenu de la piété des populations, il est alors prescrit de mettre l’accent sur le caractère religieux de notre action […] Nous n’étions pas des combattants révolutionnaires mais bien des combattants de la foi 6».
Le 20 août 1956, au Congrès de la Soummam, la vocation islamique de la révolte algérienne 7 est officialisée et réaffirmée lors de la réunion du CNRA le 20 août 1957 au Caire 8


Un tournant dans la guerre d’Algérie :
Ces journées constituent un véritable tournant dans la guerre d’Algérie. La lutte pour l’indépendance cède la place à une guerre de religions caractérisée par la volonté d’éloigner du pays tous ceux qui ne sont pas musulmans. Pour Mohammed Harbi, il y avait chez nombre de responsables du FLN une volonté de « nettoyage ethnique » qui a utilisé la religion pour parvenir à ses fins. Pour conclure, rappelons ces mots d’Ahmed Ben Bella « Je ne pouvais concevoir une Algérie avec un million cinq cent mille Pieds-noirs. 9  ». Tout espoir d’un règlement rapide des hostilités fait place à un conflit qui des poursuivra encore 7 ans.
Le 23 août 1955, le gouvernement français rappelle 2 contingents. Le 28 août les Unités Territoriales sont créées : 200 000 pieds-noirs donnent plusieurs jours par mois à
l’armée pour assurer une défense passive des points sensibles. Le 25 septembre, les Sections Administratives Spéciales (SAS) qui ont pour mission d’établir un contact avec les populations rurales et de renseigner les services de l’armée, sont créées. Le conflit a changé d’âme : les troubles de l’ordre public sont devenus une guerre de religion et un conflit ethnique.
Pourquoi ces journées de l’été 1955 –aussi funestes que celles de Mai 1945 autour de Sétif - sont-elles été ignorées par les historiens? L’explication la plus vraisemblable renvoie à l’emprise de la doxa marxiste sur l’Histoire qui sévit depuis des décennies. Il faut occulter le fait que la lutte pour l’indépendance et la guerre ethnoreligieuse contredisaient le rôle de la lutte des classes, moteur de l’histoire. À la mine d’El Halia et ailleurs ce sont des prolétaires qui ont tué d’autres prolétaires. Un exemple de falsification de l’histoire pour des raisons idéologiques.

 

Roger Vétillard

 

1 Claire Mauss-Copeaux, Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres, Paris, Payot, 2011.
2 http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=276.
3 Roger Vétillard, 20 août 1955 dans le nord-constantinois, un tournant dans la guerre d’Algérie, Paris,
Riveneuve, 2013.

4 Roger Vétillard, op. cit.
5 http://www.la nouvellerépublique.com/fr/apsfr/actualite/lire/php?ida=18309&idc=56&tPHPSE) –lu en août
2013

6 Historia Magazine n° 216, pp 732/733.
7 Roger Vétillard, La guerre d’Algérie, une guerre sainte ? – éd. Atlantis 2020.
8 Gilbert Meynier, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 91/94, juillet 2000.
9 France Culture, 23 août 1996.

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