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Le Frérisme Florence Bergeaud Blackler

14/12/2025

Le Frérisme Florence Bergeaud Blackler

Nous synthétisons ici les thèses principales de la conférence de Florence Bergeaud-Blackler sur le "frérisme", défini comme l'idéologie et le système d'action des Frères Musulmans. L'idée centrale est que le frérisme constitue une forme d'islamisme "légaliste", distinct du djihadisme violent, qui vise à instaurer une "société charia-compatible" par des méthodes progressives d'infiltration et de transformation culturelle. Ce projet, dont l'objectif final est la restauration d'un califat mondial, s'appuie sur une stratégie à long terme, théorisée notamment par Youssef al-Qaradawi, qui consiste à islamiser tous les secteurs de la société (éducation, politique, économie, médias, etc.). La méthode privilégie l'entrisme, la formation d'élites, l'exploitation des structures des démocraties libérales et la constitution d'alliances temporaires. L'influence du mouvement est disproportionnée par rapport au faible nombre de membres assermentés, grâce à une structure d'influence en trois cercles qui maille le tissu social local et national, des associations vitrines jusqu'aux entreprises de proximité. La conférencière souligne que ce projet est souvent sous-estimé ou nié dans les sphères universitaires et politiques, en partie à cause d'un climat d'autocensure et d'une stratégie de dissimulation efficace de la part du mouvement lui-même.

 

 

Fiche de lecture : Comprendre le frérisme selon Florence Bergeaud-Blackler

Le concept de "frérisme" est au cœur de nombreux débats, mais il est souvent abordé avec une certaine réticence. Le terme lui-même fait face à une forme de censure et d'autocensure, comme en témoigne l'expérience de Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue spécialiste du sujet, qui a vu l'affiche d'une de ses conférences retirée par crainte des réactions. Cette crispation, visible jusqu'aux algorithmes comme ChatGPT qui refusent d'associer certains concepts, rend la clarification de cette notion d'autant plus essentielle. Loin du djihadisme violent, le frérisme désigne une forme d'islamisme méthodique et patient. Cette fiche de lecture propose de décrypter son idéologie, ses buts et ses méthodes, en se basant sur les analyses de la chercheuse.


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1. Définir le frérisme : Au-delà des clichés

1.1. Qu'est-ce que le frérisme ?

Le **frérisme** est l'idéologie et le système d'action de la confrérie des Frères musulmans. Pour comprendre ce concept, il est crucial de le distinguer du djihadisme, qui n'en est qu'une branche minoritaire. Alors que des termes comme "djihadisme d'atmosphère" tentent d'expliquer la montée de la violence, Florence Bergeaud-Blackler estime cette formule "pas sérieuse" pour un scientifique et identifie le frérisme comme la source idéologique qui produit cette atmosphère.

* Le frérisme : Il s'agit d'un "islamisme légaliste" qui agit sans violence directe, privilégiant le dialogue, la persuasion et l'infiltration. Ses membres sont décrits comme le "cerveau" de l'islamisme ; ils créent le cadre idéologique qui peut, à terme, nourrir la violence.
* Le djihadisme : Il représente l'islamisme violent, incarné par l'image du "couteau entre les dents". Il est la branche la plus visible mais aussi la plus minoritaire du mouvement islamiste global.

1.2. L'origine : Les Frères Musulmans

Le frérisme puise ses racines dans la confrérie des Frères Musulmans, fondée en 1928 en Égypte par Hassan El-Banna. Il s'agit d'une **confrérie secrète**, dont le fonctionnement interne et le nombre exact de membres assermentés sont par nature opaques.

Une fois cette distinction établie, une question demeure : si le frérisme n'est pas la violence immédiate, quel est son objectif fondamental ?


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2. L'objectif final : Le Califat mondial

2.1. Le but ultime

Selon Florence Bergeaud-Blackler, l'objectif central, non négociable et souvent dissimulé du frérisme est la restauration d'un **Califat mondial**. Cela signifie l'établissement progressif d'une société mondiale gouvernée par la loi islamique (charia), une société rendue "charia compatible".

Cet objectif est fréquemment minimisé, voire nié, par certains universitaires qui craignent de paraître "complotistes". Pourtant, il est au cœur de la pensée et de la stratégie frériste.

2.2. Une vision globale

La nature totale et englobante du mouvement est parfaitement illustrée par cette citation de son fondateur, Hassan El-Banna, qui définit le mouvement non pas par ce qu'il est, mais par ce qu'il dépasse :

"Nous ne sommes pas un parti politique... Nous ne sommes pas une association caritative... Nous ne sommes pas un groupe sportif... Nous ne sommes rien de tout cela... nous sommes une ligne de conduite, un système qui ne peut être délimité... il existera jusqu'à la fin des temps car ce système est celui d'Allah."

Atteindre un but aussi ambitieux qu'un Califat mondial ne peut se faire par la seule force brute. C'est pourquoi le frérisme se distingue par des méthodes d'action pragmatiques et progressives.


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3. Les méthodes d'action : Une stratégie progressive

Le frérisme ne cherche pas la confrontation directe mais une transformation lente et profonde de la société, en suivant un plan méthodique.

3.1. Le plan d'islamisation par étapes

La méthode d'islamisation est décrite comme un processus "concentrique", "intuitif et naturel", partant de l'individu pour s'étendre au monde entier.

1. **Former l'individu musulman :** L'objectif n'est pas seulement de former des musulmans, mais de créer des "formateurs" qui appliqueront et enseigneront l'islam frériste.
2. **Rééduquer la famille et l'entourage :** Les jeunes "réislamisés" sont encouragés à corriger les pratiques de leurs parents et de leur cercle social. Comme l'observe Bergeaud-Blackler, "c'est là qu'on va voir les mères se revoilées, les mères achetées halal et cetera, c'est sous la pression des frères musulmans par les enfants".
3. **Créer une société musulmane :** Il s'agit de développer un écosystème social, culturel et économique distinct au sein de la société globale.
4. **Établir un État islamique :** Une fois la société musulmane suffisamment structurée, elle se dote "naturellement" d'une gouvernance islamique.
5. **Réunifier l'Oumma :** L'étape finale consiste à fusionner les différents États islamiques pour former l'Oumma, la nation islamique mondiale, qui est la seule nation jugée légitime.

3.2. Les deux tactiques clés : Dawa et Entrisme

Pour avancer dans ce plan, deux tactiques principales sont employées :

* **La Dawa (la prédication) :** Cette tactique consiste à utiliser toutes les activités sociales comme un vecteur de prosélytisme. Des structures en apparence anodines, comme les associations sportives musulmanes, les services d'aide aux devoirs ou les collectifs de jeunes de quartier, deviennent des outils pour diffuser l'idéologie frériste.
* **L'Entrisme (l'infiltration) :** Les fréristes cherchent à intégrer des structures de pouvoir et d'influence (universités, syndicats, partis politiques qualifiés de "partis coucou", entreprises stratégiques) afin de changer la culture de l'intérieur et de neutraliser toute critique potentielle.

3.3. Un pragmatisme stratégique

Le penseur Youssef El-Kardaoui, considéré comme le "pape du sunisme" et auteur du livre-clé Le licite et l'illicite, a théorisé la "jurisprudence des priorités". Ce principe permet une grande flexibilité tactique : les Frères peuvent **suspendre une obligation religieuse** si cela sert un objectif stratégique jugé plus important. Par exemple, une femme peut être autorisée à ne pas porter le voile si cela lui permet d'accéder à un poste haut placé dans un secteur stratégique (SNCF, secteur aéroportuaire, taxis) où elle pourra ensuite œuvrer pour la cause.

Pour mettre en œuvre ces méthodes, le frérisme s'appuie sur une structure d'influence particulièrement efficace.


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4. La structure d'influence : Un modèle en 3 cercles

Pour comprendre comment un noyau si restreint peut exercer une telle influence, Florence Bergeaud-Blackler propose un modèle simple et puissant : celui des trois cercles concentriques.

1. **Cercle 1 (Le cœur) : Les membres assermentés.** C'est le noyau dirigeant, secret et restreint (estimé entre 400 et 1000 personnes en France). Ses membres ont prêté un serment d'allégeance à vie à la confrérie, s'engageant à lui consacrer leur vie et une partie de leurs revenus.
2. **Cercle 2 (Les militants) : Les organisations de façade.** C'est la vitrine visible du mouvement. Ce cercle est composé d'organisations nationales qui agissent dans des secteurs spécifiques et variés (Musulmans de France pour la représentation, Secours Islamique pour l'humanitaire, fédérations d'étudiants, mais aussi des organisations de médecins, d'avocats, etc.).
3. **Cercle 3 (La périphérie) : L'écosystème local.** Ce cercle constitue le tissu local qui diffuse l'idéologie au quotidien. Il est composé d'un vaste réseau d'associations (culturelles, sportives) et d'entreprises (coiffeurs, agences de voyage, librairies, sites de rencontre) qui relaient la pensée frériste, souvent sans avoir une conscience claire de leur lien direct avec la confrérie.


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5. Conclusion : Ce qu'il faut retenir

Trois idées fondamentales se dégagent de l'analyse de Florence Bergeaud-Blackler :

1. Le frérisme est un projet politique, pas seulement religieux. Son but ultime est de mettre en place une société mondiale régie par la loi islamique (charia). Cet objectif est poursuivi via une stratégie méthodique et patiente, qui voit sur le temps long.
2. Sa méthode principale est l'infiltration douce, pas la violence. Il s'appuie sur deux concepts clés : la **dawa** (prédication par l'action sociale) et l'**entrisme** (infiltration des institutions) pour transformer la société de l'intérieur, sans confrontation directe.
3. Son influence est bien plus large que son nombre de membres. Le modèle des trois cercles explique comment une idéologie portée par un petit groupe secret peut se diffuser très largement à travers un vaste réseau d'associations, d'entreprises et d'acteurs locaux qui forment un écosystème favorable à ses idées.

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